« La SPFPL est un levier de conquête et d’efficacité » article paru dans l’AGEFI actifs du 7 février 2014

Le décret instaurant la holding capitalistique des métiers du chiffre et du droit est en cours d’examen au Conseil d’Etat.
Il leur offre des armes pour lutter contre la concurrence étrangère et apporter aux clients des réponses transparentes et homogènes.

L’Agefi Actifs. – Certains d’entre vous ont eu le décret multi-interprofessionnel entre les mains. Vous donne-t-il satisfaction ?

Agnès Bricard. – Ce décret inscrit l’interprofessionnalité capitalistique pour laquelle Edouard de Lamaze a toujours œuvré. Il permet la création de holdings, sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL).

Ces dernières années, nous avions œuvré pour une interprofessionnalité contractuelle. Une convention a été signée en 2006 entre le Conseil supérieur des experts-comptables (CSOEC), le Conseil national des barreaux, la CCEF et le notariat. De nombreux travaux ont été réalisés sous ma présidence du CSOEC en collaboration avec Christian Charrière Bournazel, ancien président du Conseil National des Barreaux (CNB), sur une interprofessionnalité fonctionnelle, avec la mise en place d’une structure d’exercice sans personnalité morale, l’Airpi (Association interprofessionnelle à responsabilité professionnelle individuelle).
 

UNE LONGUE GESTATION
L’interprofessionnalité vit une actualité « chaude » avec le fameux décret multi-interprofessionnel qui est sur le point de paraître…

Ce décret est en examen au Conseil d’Etat, ce qui est très important. Pour la première fois, nous sommes dans une analyse globale de cette interprofessionnalité. En effet, souvenez-vous, on en parle depuis 1966, c’est-à-dire la loi sur les sociétés commerciales. On en a reparlé en 1990, mais on n’en a rien vu venir, puis avec la loi Murcef en 2001 et jusqu’à la loi du 28 mars 2011, mais là encore sans aucun effet. C’est extraordinaire. Depuis 1966, cela fait 48 ans !

Au fond, nous avons une situation absolument inédite. Les représentants du peuple français votent depuis près de 50 ans l’interprofessionnalité et les organisations professionnelles les bloquent depuis 48 ans. Il a fallu l’activisme de plusieurs organisations professionnelles, depuis un certain nombre d’années, pour remettre à chaque fois l’ouvrage sur le métier en disant « arrêtons, nous en avons besoin ». Car pendant ce temps, le temps s’est écoulé, la concurrence internationale s’est organisée et se sont mis en place des structures internationales, des besoins financiers et des réalisations financières que les Français n’ont pas pu suivre.
 
Il y a eu aussi la directive Services…

– Oui, les articles 15 et 25 de la directive Services ont débloqué le système en 2006. Il faut que les gens se rendent compte que l’Europe peut faire bouger les choses qui ne bougent pas, pour des raisons d’organisation professionnelle parfois internes.

Aujourd’hui, avec ce décret, nous franchissons le pas de l’interprofessionnalité capitalistique avec la création d’une holding dont les filiales exercent leur profession réglementée sous forme de SEL (société d’exercice libéral) avec des experts-comptables, des avocats, des notaires, des huissiers, des administrateurs judiciaires…On peut se demander si, auparavant, les Ordres ont manifesté des inquiétudes sur une concentration qui pourrait se faire à partir des holdings.
 

Édouard de Lamaze
avocat, cabinet Carlara, représentant le CNB et le Barreau de Paris

 

Édouard de Lamaze. – La réponse est positive. Ce qui est mis en place, c’est une interprofessionnalité capitalistique. Cette interprofessionnalité permettra à des professionnels du chiffre et des professionnels du droit de créer des sociétés financières et de s’y associer dans des conditions de majorité ou de minorité préservant l’indépendance économique de leurs membres.

Ces sociétés ne sont pas des sociétés d’exercice mais elles sont inscrites à chacun des ordres des professionnels qui composent le capital.
 

Agnès Bricard
expert-comptable, cabinet Bricard, Lacroix et Associés, ex-présidente du CSOEC

Ces sociétés financières pourront donc prendre des participations dans des sociétés d’exercice professionnel. Ainsi, chacun conservera l’autonomie de son métier mais ces professionnels pourront partager entre eux des projets capitalistiques et d’investissement en commun.

Désormais, le pas capitalistique est franchi…

Edouard de Lamaze. – Le décret répond à toutes les critiques et tous les critères négociés depuis des années. Premièrement, c’est une société de capitaux, une interprofesssionnalité de capitaux ; cela permet d’investir en commun pour agir en commun, mais cela laisse à chacun l’exercice de son activité, avec ses Ordres, ses responsabilités, ses devoirs et ses obligations.
 

Agnès Bricard. – On peut y voir des risques avec une concentration forte dans les holdings de type anglo-saxonne. Mais on n’investit pas un marché pour répondre aux attentes des entreprises sans y mettre des moyens significatifs.

Édouard de Lamaze. – Et quand on met des moyens, on veut partager des bénéfices, soyons clairs…
 

Stéphane Fantuz
conseil en haut de bilan, président de la CNCIF
 

Stéphane Fantuz. – Et aussi les moyens d’action apportés par les ressources financières. On peut faire des opérations de croissance externe, de marketing…

 

Édouard de Lamaze. – Nous raisonnons en droit français. Le droit continental est basé sur le contrat statutaire. Le contrat anglo-saxon, si j’ose dire, de la common law, est effectivement beaucoup plus libéral et contractuel que nous qui sommes statutaires. D’où l’idée de développer des Aarpi (associations d’avocats à responsabilité professionnelle individuelle) qui étaient purement contractuelles alors que les sociétés de participations financières sont statutaires. Ce sont deux lois qui sont opposées. Jusqu’au bout, il y a eu cet affrontement. Mais au fond, le choix proposé aujourd’hui est très salutaire.

Dans le cadre du décret qui va enfin naître, un certain nombre de professions libérales sont citées – avocats, experts-comptables, notaires, commissaires priseurs judiciaires, huissiers de justice… Et pourquoi pas les conseillers indépendants ?

Édouard de Lamaze. – A l’heure actuelle, il n’est prévu un accès qu’aux professions réglementées.

Stéphane Fantuz. – Réglementées ou ordinales ? Nous, nous sommes réglementés mais n’avons pas d’ordre. Il faut le dire clairement aujourd’hui, les associations agréées par l’AMF, à partir du moment où elles ont cet agrément, sont des structures qui ressemblent plus à un Ordre qu’à un syndicat professionnel.

Agnès Bricard. – Quand on parle des professions réglementées, on doit relever d’un Ordre avec les contrôles qui existent et la sécurité qui en découle. L’agrément de l’AMF qui doit être obtenu par les conseillers indépendants ne se met pas actuellement au même plan que l’appartenance aux Ordres professionnels.

Édouard de Lamaze. – Le statut de la société de participations financières doit être déposé auprès des Ordres.

Donc, les conseillers indépendants qui sont quand même des professionnels libéraux ne pourront pas, en l’état, avoir de participation capitalistique dans les SPFPL ?

Édouard de Lamaze. – Non, mais ils peuvent avoir des accords contractuels. Tout le travail qui a été fait à l’époque entre les professionnels réglementés va pouvoir s’ouvrir à eux, mais il fallait d’abord que nous puissions nous marier avec les professions organisées par un Ordre.

Tant que cette notion d’Ordre existe, il y a une sorte de chasse gardée. Là encore une fois, Bruxelles va bousculer les choses. Vous avez vu sur le problème du démarchage, il va en être de même pour les professions réglementées et non réglementées. La démarche commerciale se fera sans distinction. Il est évident qu’au fur et à mesure du temps, ces barrières vont tomber, et donc les activités vont être mises en avant. Je suis convaincu que dans les dix, quinze ou vingt ans à venir, la notion de profession va s’effacer derrière la mise en valeur des activités elles-mêmes. D’ailleurs, la directive Services ne parle pas de profession, elle ne parle que d’activités.

Stéphane Fantuz. – Nous regrettons beaucoup de ne pas avoir été associés à cette démarche. On se réfère à une notion qui n’est plus très européenne, à savoir la notion ordinale. En effet, on voit bien qu’aujourd’hui l’Ordre n’est plus d’actualité. L’esprit de la directive est beaucoup plus tourné activités que professions.

On voit bien qu’il y a un cercle qui touche à la gestion de patrimoine qui n’est couvert ni par l’expert-comptable ni par les avocats, même s’il y a des zones de recouvrement. On parlait tout à l’heure d’un point de vue extrêmement théorique de l’interprofessionnalité, mais en pratique, sur le terrain, elle est faite au quotidien. Quand on réalise des cessions d’entreprise, on ne peut pas le faire sans l’aide d’un avocat pour faire un pacte d’associés, sans un expert-comptable pour aller chercher les bilans et évaluer l’entreprise. Quand on est dans le domaine de la gestion de patrimoine, il est clair que l’on intervient avec le juriste, le notaire ou avec l’expert-comptable.

Ce qui est regrettable, c’est que cela se fait presque sous le manteau, mais les clients ont besoin qu’on travaille ensemble ouvertement. Souvent, les clients nous mettent autour de la table – avocat, expert-comptable, expert en gestion de patrimoine – pour trouver les bonnes solutions. En revanche, on n’a jamais pu se réunir d’un point de vue capitalistique car nous n’avions pas de texte. Du coup, nous n’étions pas en mesure de lutter contre les pratiques anglo-saxonnes qui s’embarrassent beaucoup moins de contraintes et sont plus opérationnelles et pragmatiques.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi la SPFPL va-t-elle être un levier de compétitivité ?

Agnès Bricard. – On constate très souvent que les entreprises ne sont pas sensibilisées dans leur vie courante à l’interprofessionnalité. Elles y ont recours lors d’une crise ou une rupture telles que la prévention des difficultés avec une équipe intégrant avocat, expert-comptable, administrateur judiciaire. En bref, une équipe pluridisciplinaire. Cette demande d’interprofessionnalité intervient aussi lors des transmissions d’entreprise.

Que faudrait-il organiser pour faire évoluer cette situation ? D’abord convaincre l’entreprise qu’il y a plus de sécurité et plus d’efficacité avec l’interprofessionnalité. Quand on regarde concrètement, en cas de problème par exemple sur un litige, l’entreprise va en général voir son avocat, son expert-comptable et peut-être un troisième intervenant qui peut s’appeler le notaire ou un conseil en investissements financiers. On peut rencontrer une absence de sécurité, avec trois analyses différentes menées sur un même thème mais qui risquent au final de ne pas être exhaustives. Il faut donc militer pour l’interprofessionnalité.

Édouard de Lamaze. – C’est tout le message européen. Ce sont les articles 15 et 25 de la directive. Il faut baisser les prix, nous sommes trop chers pour une entreprise. La multiplication de nos compétences, de nos interventions et l’obligation pour le client d’aller chercher à chaque fois un interlocuteur valable, compétitif, c’est du temps perdu pour lui, et de l’argent en définitive car il finit par payer trop cher.

Stéphane Fantuz. – Pour la sécurité, on pourrait avoir une opinion inverse. Il est clair que quand les trois points de vue se seront concertés parce qu’ils appartiennent à la même structure, le point de vue sera global. Néanmoins, dans la structure telle qu’elle est prévue aujourd’hui, avec une holding et différentes filiales, chacune d’entre elles s’engagera. Aujourd’hui, le chef d’entreprise se dit qu’il a finalement des acteurs « indépendants », donc qu’il dispose de trois avis qui ne sont pas des avis d’entente.

Ce qui est intéressant, c’est l’aspect financier. Pour le chef d’entreprise, mais c’est pareil pour un particulier, chacun fait son travail dans son coin et on vient rassembler la matière mais il y a de fait un surcoût.

Agnès Bricard. – Le point fort des holdings, c’est de réunir des moyens financiers pour entrer sur un marché.

L’interprofessionnalité capitalistique va nous permettre d’être plus offensifs et de répondre à la directive européenne dans ses articles 15 et 25.

Par-delà l’efficacité, en quoi cela va-t-il être un instrument de conquête, notamment vis-à-vis de la concurrence étrangère ?

Édouard de Lamaze. – Pour deux raisons. D’abord, parce que vous avez des modèles internationaux différents. Pour cette reconquête, il fallait que la France réagisse, notamment au regard des conseils du middle market qui est quand même la force vive française. Ces PME sont actuellement attaquées sur le marché des services par des structures internationales organisées qui ont une force de frappe considérable.

Les Anglais ont mis en place les ABS, les alternative business structures. Ces structures regroupent une majorité de consommateurs et une minorité de professionnels. Elles interviennent sur le marché circulant, notamment le marché du droit ; elles ont la possibilité d’être cotées en Bourse. Ce sont de vraies sociétés de services totalement indépendantes dans lesquelles le professionnel n’est que minoritaire, des sociétés capitalistiques indépendantes.

Il fallait présenter rapidement au niveau européen une alternative aux ABS. La société financière de participations en est une grande. Nous aurons les mêmes moyens qu’eux mais, alors qu’eux le présentent sous un système de dérégulation, nous, nous le présentons sous un système de régulation.

Dans une étape ultérieure, le point d’orgue sera la mise en place de capitaux extérieurs minoritaires dans nos sociétés de participations financières.

Peut-on imaginer dans les mois ou les années qui viennent beaucoup de regroupements professionnels tels qu’on vient de les présenter ?

Édouard de Lamaze. – Je vais vous donner une information. Il y a 94 sociétés de participations financières inscrites au Barreau de Paris. Il y en a aujourd’hui deux qui sont déjà interprofessionnelles et elles n’attendent que le décret.

Le conseil de l’Ordre de Paris a voulu montrer son engagement, et cela depuis trois semaines-un mois. Nous sommes vraiment dans l’actualité.

Je vous fais le pari que ces sociétés interprofessionnelles capitalistiques vont venir supplanter très rapidement beaucoup de structures.

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